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18/05/2020Etat des lieux de la création des PME en Côte d’Ivoire
Dans cet article qui vise à dresser l’état des lieux de la création des PME en Côte d’Ivoire, l’auteur Jean Eric KOUSSEMON (Coordonnateur du CIDE-MDE) apporte une réponse aux questions précédentes tout en présentant les réalités de l’environnement entrepreneurial ivoirien.
Depuis l’avènement du CEPICI en 2012, la Côte d’Ivoire a réalisé des progrès significatifs dans l’accompagnement à la création d’entreprises privées. En instituant un guichet unique regroupant le greffe du tribunal du commerce, les services des impôts et de la sécurité sociale ainsi que des services notariaux, le pays a fait passer le délai moyen de création d’une entreprise de 40 jours[i] en 2008 à 7 jours[ii] en 2018. Cette amélioration notable lui a valu de progresser en l’espace de dix ans de la 155ème à la 44ème place sur 190 pays, au titre de la rubrique « Créer une entreprise » dans le rapport Doing Business[iii] . Du fait, entre autres facteurs, de ces réformes ainsi que d’un code des investissements incitatif, le nombre d’entreprises annuellement créées en Côte d’Ivoire est passé de 2.775 en 2013 à 14.812 en 2018[iv], soit une augmentation de plus de 400% en l’espace de cinq ans. Ces chiffres appréciables dénotent à l’évidence d’une meilleure promotion de la destination Côte d’Ivoire auprès des investisseurs internationaux, mais également d’un engouement local nouveau pour la chose entrepreneuriale ainsi que d’une sensibilisation réussie auprès des acteurs du secteur informel quant aux bénéfices de la formalisation de leurs activités économiques.
Cependant, peu de statistiques existent sur la pérennité des entreprises nouvellement créées en Côte d’Ivoire.
En effet, si la plupart des Investissements Directs Etrangers significatifs bénéficiant de régimes préférentiels font l’objet d’un suivi statistique et administratif au minimum à un niveau sectoriel, il n’en est pas de même de la plupart des PME, créées dans leur grande majorité par des acteurs locaux. Il est ainsi difficile d’apprécier aujourd’hui le taux de survie de ces startups ainsi que leur contribution réelle à l’économie du pays.
Diverses sources évaluent le taux d’échec des nouvelles entreprises créées en occident à plus de 50% au cours de leurs 5 premières années[v]. Malgré l’absence de statistiques fiables, il est fort à parier que ce taux est bien plus important en Côte d’Ivoire, du fait du manque de préparation de bon nombre des promoteurs à la chose entrepreneuriale ainsi que de la faiblesse de l’écosystème d’accompagnement des startups locales. A juste raison, l’accompagnement des PME est devenu au cours des récentes années un sujet de préoccupation majeure et d’intérêt aussi bien pour le gouvernement que pour ses partenaires et divers acteurs privés.
Cet intérêt a abouti à l’avènement d’entités nouvelles dans l’écosystème entrepreneurial local, ainsi qu’au regain d’activité de certaines structures préexistantes. Prenant le taureau par les cornes, le gouvernement ivoirien a acté en mars 2014 la loi n°2014-140 portant orientation de la politique nationale des PME. Cette loi crée l’Agence Côte d’Ivoire PME, dont le décret n°2016-1120 du 07 décembre 2016 fixe les attributions. La mission de l’Agence CI PME est de faire la promotion des PME ivoiriennes et de contribuer à la mise en œuvre opérationnelle de la stratégie nationale de développement des PME notamment en 1) favorisant la création des PME ; 2) Améliorant l’accès des PME aux financements et aux marchés, 3) améliorant le climat des affaires des PME et 4) en développant la culture entrepreneuriale et l’innovation. L’Agence dont le démarrage effectif des activités s’est fait en 2018 devrait ainsi, lorsqu’elle aura atteint sa vitesse de croisière, avoir un rôle transversal dans la vie des PME ivoiriennes par le biais de ses divers instruments, à savoir un incubateur de PME (déjà en place), un observatoire de l’entreprise ainsi qu’un fonds de garantie.
Aux côtés de l’Agence CI PME qui est l’organe opérationnel des interventions de l’Etat et de ses partenaires en faveur des PME, l’on dénombre d’autres accompagnateurs institutionnels des startups ivoiriennes, qui œuvrent aux différents stades du projet entrepreneurial : 1) en amont de la création de l’entreprise, 2) à la création de l’entreprise et 3) suivant la création de l’entreprise.
En amont de la création d’entreprise
Au stade du projet, le promoteur a principalement besoin d’être formé et accompagné dans l’élaboration d’un business plan réaliste qui lui permettra de jauger la viabilité et la faisabilité de son idée d’affaires. Plusieurs cabinets de gestion existant sur la place fournissent le service d’élaboration de plan d’affaires, sans nécessairement doter le promoteur des outils lui permettant d’en faire à postériori un véritable outil de pilotage de son entreprise.
Au cours des récentes années, ce déficit a été comblé par le concept des compétitions de plans d’affaires, initié pour la première fois à grande échelle en Côte d’Ivoire en 2009 par la Banque Mondiale et l’ONG Technoserve sur une période de 5 ans dans le cadre du projet « Un projet, des emplois, j’y crois ». Le modèle des compétitions de plan d’affaires consiste en la présélection d’idées de projets prometteuses, en la formation des entrepreneurs présélectionnés aux divers modules du plan d’affaires et de la gestion d’entreprise afin de leur permettre d’affiner et de réécrire leurs projets, puis en une sélection finale précédée d’une présentation devant un jury d’experts. A ce jour, deux compétitions de plans d’affaires majeures semblent durablement installées dans l’écosystème entrepreneurial ivoirien. Il s’agit de la CGECI Academy[vi] et du prix Alassane Ouattara du jeune entrepreneur émergent du Gouvernorat de la ville d’Abidjan. La participation à ces compétitions de plan d’affaires donne ainsi l’occasion à un large public de promoteurs de se faire accompagner dans la maturation de leurs idées, même si à la fin seul un nombre réduit (en général moins de 20%) est primé. De façon cumulée, ces trois compétitions de plans d’affaires ont permis l’éclosion de plus de 300 nouvelles entreprises au cours de neuf dernières années. A côté de ces compétitions généralistes, il existe des compétitions de plan d’affaires sectorielles de moindre envergure. La plus en vue de ces compétitions est le Prix Orange de l’Entrepreneur Social, qui met en compétition des entrepreneurs de divers pays africains
L’Institut Ivoirien de l’Entreprise (INIE) quant à lui, a une approche totalement différente qui consiste pour l’institution à étudier elle-même des opportunités d’affaires dans divers secteurs d’activités, puis à élaborer et tester un modèle de PME viable répondant adéquatement au besoin identifié. Par la suite, l’INIE fait du « clonage » de ses meilleurs modèles, en sélectionnant des postulants dans les différentes régions du pays afin de les former au modèle d’entreprise défini et de les installer grâce à un partenariat public-privé. Cette méthode qui en est à ses débuts devrait au cours des prochaines années être déployée à grande échelle.
A la création de l’entreprise
Cette étape voit des questionnements multiples de la part du promoteur : choix de la forme juridique adéquate pour la société, régime fiscal à adopter, répartition optimale des capitaux disponibles entre capital social et emprunt auprès des associés… Cependant à ce stade, seuls quelques entrepreneurs ont recours à des cabinets fiscaux ou de conseil en gestion pour se faire accompagner dans la prise de décision. La plupart des promoteurs de PME s’en tiennent à une visite du CEPICI, qui est le seul acteur fournissant une information de masse quant aux options légales et fiscales s’offrant aux créateurs d’entreprise. Les conseillers du CEPICI sont effectivement outillés pour procurer les informations relatives aux conditions à remplir pour les différents types de sociétés ainsi qu’aux particularités des différents régimes d’imposition. Leur rôle d’information n’inclut cependant pas de conseiller les promoteurs dans le détail quant aux enjeux des options parfois irréversibles qu’ils prennent lors de la constitution de leurs sociétés.
Suivant la création de l’entreprise.
La période suivant immédiatement la création de l’entreprise est la plus cruciale pour le promoteur. Elle nécessite la mise sur pied rapide des opérations et un business développement agressif qui permettra d’éviter que le capital investi soit totalement absorbé par les investissements initiaux et les charges fixes de fonctionnement. Au cours des récentes années, plusieurs acteurs se sont spécialisés sur la niche de l’accompagnement des PME durant cette phase.
Au premier rang de ceux-ci, il convient de citer les incubateurs et accélérateurs à titre gratuit, intégrés par les PME à la suite d’un processus compétitif institué par des acteurs tels que la CGECI, le Gouvernorat de la ville d’Abidjan ou les opérateurs de téléphonie mobile. Ces incubateurs et accélérateurs offrent aux lauréats des packages d’accompagnement plus ou moins similaires incluant l’incubation physique (domiciliation, bureaux, internet, téléphone), la formation en gestion, le mentorat par des experts et entrepreneurs du même secteur d’activité, la mise en relations d’affaires notamment à travers des événements promotionnels ainsi que des financements gratuits. Dans le cas spécifique des accélérateurs portés par les sociétés de téléphonie mobile, une valeur ajoutée supplémentaire émane généralement du partenariat entre l’opérateur de téléphonie mobile et les startups, ce qui donne de meilleures chances à ces dernières évoluant dans le secteur des NTIC de déployer leurs services à grande échelle.
A côté de ce modèle gratuit coexiste l’incubation à titre onéreux offert aujourd’hui par une dizaine de structures dont : Dream Factory de l’Agence CI PME, Jokkolabs, Incub’Ivoir, Aziko Hub, ADN Factory, Dekko Group…Hormis l’accès aux financements gratuits et le mentorat, ce type d’incubateurs offre généralement les mêmes services que les incubateurs et accélérateurs adossés à des compétitions de plans d’affaires.
Il y a pour finir les espaces de coworking de plus en plus en vogue. L’on en dénombre plus d’une dizaine dans notre capitale économique : Régus, The Corporate Square, CO.Lab, Assoya, Grasien Group, Ovillage, EliteBuro, Seedspace, InnovHouse, AMN Coworking space… Ces entités ne font bénéficier que de services physiques à leurs clients, selon des formules modulables en fonction des besoins de ces derniers. L’intérêt principal des espaces de coworking réside dans la flexibilité qu’ils offrent aux PME d’avoir des charges de fonctionnement variables en fonction de leur niveau d’activité. De plus, tout comme les incubateurs et accélérateurs d’entreprise, ils permettent aux promoteurs d’évoluer dans un environnement entrepreneurial stimulant la créativité.
En conclusion
L’écosystème d’accompagnement de l’initiative entrepreneuriale en Côte d’Ivoire se met progressivement en place, notamment grâce aux efforts consentis par le gouvernement et ses partenaires pour la promotion des PME. Il est cependant encore à une échelle insuffisante pour satisfaire la demande existante. Ainsi pour les 14.812 entreprises créées en Côte d’Ivoire en 2018, l’on peut sans risque de se tromper estimer que moins de 5% ont pu bénéficier d’un accompagnement à la rédaction de plan d’affaires dans le cadre des compétitions de plans d’affaires, et que moins d’1% bénéficient de services d’incubation et d’accélération.
Afin d’augmenter les chances de survie et de développement des PME ivoiriennes, le secteur privé se doit de prendre le relais dans l’accompagnement des startups locales. En plus des Centres de Gestion Agréés et des cabinets comptables, les sociétés de conseil en gestion devraient se tenir aux côtés des PME pour les assister face aux enjeux stratégiques et opérationnels qu’elles rencontrent au quotidien. Il conviendra évidemment pour ces acteurs d’user de créativité pour trouver des mécanismes autres que les subventions étatiques qui rendraient le coût de leur accompagnement non prohibitif pour les startups.
[i] Doing Business 2008
[ii] Rapport Doing Business 2018. En 2018 ce classement est de loin le meilleur que la Côte d’Ivoire obtienne au titre des 10 rubriques du rapport qui situe globalement le pays à la 139ème place en matière d’environnement des affaires.
[iii] Rapport publié chaque année par la Banque Mondiale en guise de comparaison de l’environnement des affaires dans les différents pays avec lesquels elle est en relation
[iv] Informations en provenance du site du cepici www.cepici.gouv.ci
[v] Notamment le site américain dédié aux PME https://smallbiztrends.com/2016/11/startup-statistics-small-business.html
[vi] Organisé par la Confédération Générale des Entreprises de Côte d’Ivoire